19
— Il est deux heures de l’après-midi, à présent, fit le président Cerdona d’une voix joyeuse, et rien ne s’est encore passé. Je crois que nous avons gagné, Bob. Si vous permettez que je vous appelle ainsi…
— En ce qui me concerne, je suis certain du succès, dit Morane avec force. Si, comme moi, vous aviez aperçu ces cinquante tubes lance-fusées dressés comme pour la parade, vous ne douteriez pas…
Morane, Cerdona, Ballantine et Collins se trouvaient au bord du lac, scrutant avec angoisse, depuis près de deux heures, sa surface à la fois calme et hostile et s’attendant à chaque instant à en voir jaillir les projectiles porteurs de destruction et de mort. Pourtant, le délai fixé par Ramon Pedregal s’était écoulé depuis longtemps, et rien n’était encore survenu.
Le capitaine Vargas s’approcha du groupe formé par les quatre hommes et s’adressa au président Cerdona.
— En suivant le câble, dit-il, mes hommes ont réussi finalement à trouver l’endroit où se trouvait dissimulé le mécanisme commandant le départ des fusées. Une vaste excavation creusée dans la berge et dont l’entrée, fort étroite, était obstruée par un gros bloc de rocher pivotant sur lui-même grâce à un système de levier. Naturellement, nous nous sommes empressés de saboter le mécanisme en question. Tout danger se trouve donc définitivement écarté à présent…
Ambrosio Cerdona demeura un long moment silencieux. Une joie sans mélange illuminait ses traits.
— Lima est sauvée, dit-il enfin avec ferveur. Lima est sauvée !…
Il se tourna vers Morane et lui saisit les mains.
— Et ce triomphe, c’est à vous que le peuple péruvien le doit, Bob, fit-il encore.
Morane se dégagea doucement.
— N’exagérons rien, Excellence, dit-il avec embarras. J’ai fait ma part de besogne, c’est certain, mais Collins, Bill et Lupito ne doivent pas être oubliés non plus. Sans eux…
— Tout ce que j’ai fait, interrompit l’Américain, c’est d’écrire cette lettre. Sans l’aide d’un Indien auquel j’avais sauvé la vie et qui, ayant la confiance de Pedregal, pouvait quitter la vallée à son gré, elle ne serait jamais parvenue à Lima…
— Quant à moi, dit Ballantine, tout ce que j’ai fait c’est donner l’ordre à Lupito d’aller avertir Son Excellence. Lupito recevra la récompense promise et tout sera donc pour le mieux de son côté. C’est quand même vous, commandant, qui avez en l’idée de plonger dans le lac. C’est vous aussi qui avez désamorcé la machine infernale de ce maboul de Pedregal.
— Il n’y a rien à redire à cela, approuva Collins. Certes, nous avons tous accompli notre besogne, mais c’est vous seul, commandant Morane qui, finalement, avez sauvé la capitale d’une destruction quasi totale.
Devant cette évidence, Bob ne trouva rien à répliquer, et il demeura embarrassé, à passer et repasser la main dans ses cheveux coupés en brosse.
— Oui, Bob, dit encore Ambrosio Cerdona, que vous le vouliez ou non, le Pérou a une grande dette envers vous.
Et dire que je ne puis même pas vous récompenser, car je sais que vous êtes de ceux-là, qui ne se laissent jamais guider par l’intérêt. Ah, si seulement je pouvais vous prouver ma reconnaissance par un acte concret… Un don par exemple…
De longues secondes, Cerdona demeura songeur, puis il tressaillit soudain.
— Je crois avoir trouvé, dit-il. Je vais vous faire offrir cette vallée de l’État péruvien, avec acte de propriété dûment légalisé…
— M’offrir cette vallée ? fit Morane en riant. Et qu’en ferais-je ?
— Ce que vous en feriez, commandant ? intervint Ballantine. Peut-on imaginer retraite plus idéale ? Les eaux du lac doivent être poissonneuses et, quand les fusées et leurs cylindres auront été enlevés, vous pourrez y faire de fructueuses parties de pêche. Vous pourriez également y faire de l’élevage et vivre loin de tout souci, loin du bruit dévorant de notre monde moderne…
Une expression rêveuse avait, à ces derniers mots de Bill, envahi le visage énergique de Morane. Visiblement, l’offre du président Cerdona le tentait à présent.
— Tu as raison, Bill, déclara-t-il doucement. Cette vallée ferait une retraite idéale… Pour mes vieux jours…
FIN